Les déclarations choquantes du Procureur République de la République à Nouakchott nord, au sujet des résultats de l’autopsie du militant des droits de l’homme Souvi Ould Cheine, confirment, avec certitude, qu’il a été tué. Probablement, il s’agit d’une préméditation, car les agents de police l’ont emmené sous la contrainte et emprisonné, en dehors d’une réquisition légale. A rebours de la tradition pénale, il sera pris, ligoté et battu, à l’insu du parquet. Ici, il est question d’une exécution extra-judiciaire.
Il y a eu des déclarations contradictoires sur la détermination des mobiles ayant conduit, les forces de l’ordre, à l’arrêter et le torturer, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Selon un témoin anonyme – assertion niée par Khatar, le frère du défunt – un créancier de Souvi serait à l’origine d’une plainte, au Commissariat de police où se déroulera la tragédie.
Les informations sont contradictoires. Des pots-de-vin auraient été versés, à la police, pour obliger Souvi à reconnaître les intérêts de la dette, service dû au défaut de règlement ; il fallait joindre la reconnaissance de dette, aux rapports de police, signés par le débiteur.
Ould Cheine réfute l’histoire du contentieux privé, car, à ce jour, le requérant présumé n’est pas apparu ; comment une partie à un litige peut-elle se volatiliser, au vu des circonstances aussi graves ? Alors, qu’en est-il de la plainte, du plaignant et du motif ?
Un récit, relayé par des amis et camarades de la victime, militants – comme lui – des droits de l’homme, indique qu’un vocal de Souvi, diffusé sur des groupes « WhatsApp » aurait récemment adressé des critiques virulentes au Directeur général de la Sûreté nationale (Dgsn), le Général Mesgharou Ould Ghoueizi ; Souvi y dénoncerait la solidarité du père avec son fils, malgré les antécédents pénaux de ce dernier et son ambition de briguer un siège de député.
Souvi a été enlevé, de son domicile, situé à Nouakchott Sud, vers un commissariat de Nouakchott Nord ; ici, officie le commissaire, Mokhtar Isselmou Ould Sidou, lié, par l’alliance matrimoniale, à la famille Ehl Ghoueizi. Une telle proximité lui aurait valu, d’ailleurs, un avancement trop rapide, après une entrée tardive dans le corps de la police, seulement en 2017! Selon nombre d’activistes en ligne, le Général le protégerait.
La convocation fatale de Souvi Ould Cheine relevait-elle d’un recouvrement de dette ou d’un châtiment pour avoir insulté l’enfant choyé d’un oligarque ? A supposer l’hypothèse de la créance, où se trouve le débiteur ? Faut-il, plutôt, accorder crédit à une opération punitive ? Si oui, le but consistait-il à d’intimider Ould Cheine ou le supprimer ?
Certaines analyses attestent de l’accident : aussi douteuse que soit la raison de la convocation de Souvi au Commissariat de Dar Naim 2, sa mort n’était pas préméditée. L’arrestation ne se serait pas déroulée suivant la volonté des policiers. Il leur opposait une résistance farouche et rendait coup pour coup, des poings et des pieds, manquant, de peu, de les défaire. Ils se sont rués sur lui, ayant décidé, à l’unisson, de ne pas se laisser battre. S’ensuivra, de leur part, un déchaînement de hargne, de violence, et de colère ; leur cruauté en arriva au point de l’achever, sans autre forme de procès.
La déclaration de la Dgsn s’apparentait à une farce, d’un goût sinistre. Elle rapporte, le décès, à un « malaise soudain ». Les images d’un corps portant des meurtrissures et des traces de blessures fatales, trahissent des contusions aux poignets, sans doute à cause d’un usage abusif de menottes ; elles démentent, alors, la version de la mort naturelle.
Néanmoins, la gestion de l’événement par les autorités s’avère acceptable et quasiment inédite. Le président Ghazouani a donné, l’ordre au ministre de la Santé, de rentrer à Nouakchott et de superviser l’autopsie, dont les résultats confirmeront : « une suffocation » et « une fracture au cou » ; comme le souligne le document, les deux causes pourraient, chacune à elle seule, entraîner le trépas. Ensuite, l’enquête a été ouverte et le pouvoir exécutif en promet la « transparence » et l’ « indépendance » ; les éléments du Commissariat, auteurs de la forfaiture, n’échapperont à la sanction appropriée.
Souvi Ould Cheine n’est pas la première personne assassinée dans un poste de police ; d’autres crimes, parfois plus odieux, y ont cours. Mais, il y a, là, un précédent dangereux, compte tenu du contexte. Actuellement, les voix de la discorde et de la discrimination s’élèvent et les discours partisans font florès, exhortant les gens à aller, aux élections législatives, sur la base d’une mobilisation des discours de haine et de violence verbale. La cohésion et l’intégrité de la société s’en trouvent compromises.
Le moment est grave mais, en toute sincérité, l’on ne peut qu’apprécier les actes positifs du Président de la République, devant une épreuve d’ampleur morale. C’est ce que dit, avec satisfaction, le frère de la victime, Khattar Ould Cheine, dans ses déclarations à la presse. Toutefois, il convient d’insister sur l’opportunité, parce que « l’opportunité est éphémère » – dit Hippocrate ; il importe de remettre de l’ordre parmi les secteurs de la sécurité ; une réforme rigoureuse s’impose, qui passe par le nettoyage profond des saletés et la rupture d’avec les basses besognes. Il est impératif que les effectifs de la police soient mieux formés, recyclés, éduqués aux valeurs de la dignité de la personne, dans le respect strict de la loi.
D’évidence, du moins est-ce mon opinion, la tension consécutive à la mort de Ould Cheine ne serait contenue sans le limogeage du Directeur général de la sûreté nationale. La mesure, fort naturelle, relève du principe de responsabilité, dans tout État de droit, qui applique la démocratie et dont les dirigeants prennent fait et cause pour les administrés.
Le Général Mesgharou Ould Ghoueizi ne saurait, en aucun cas, se soustraire aux retombées de l’homicide, même involontaire, d’un innocent, à l’intérieur d’un commissariat de police, pas plus qu’il n’échapperait, sans coup férir, aux implications de l’odieux communiqué de la Dgsn. Et que dire des accusations, des activistes, quand ils le soupçonnent d’avoir ciblé Ould Cheine, à cause audios proférés contre son fils et lui? Les allégations méritent de figurer à l’enquête. Toute reddition des comptes reposera sur des preuves probantes….
Politiquement, le pouvoir de Ghazouani – certains opposants le qualifient de faiblesse – peut aussi se souvenir du proverbe arabe « frapper l’imam », afin que le muezzin et les fidèles prennent peur. Le limogeage de Ould Ghoueizi constituerait un acte digne du choc qui vient de blesser la Mauritanie.
L’Etat en sortira davantage respecté et la vie des citoyens, enfin, gagnera un surcroît de sacralité. C’est une occasion rare à ne pas manquer, comme d’autres le furent, malheureusement. L’on se rappelle le mariage fastueux du fils de Mokhtar Ould Bolle, Général de division, chef d’état-major général des armées. Partout, ailleurs, un tel gaspillage aurait donné lieu à l’éviction du père prodigue. Il va sans dire que le meurtre prête plus à conséquence !
En juin 2010, le Général Stanley McChrystal, commandant des forces américaines en Afghanistan, révélait, au journal Rolling Stone, ce que la presse américaine considérait comme une insulte envers de hauts responsables de l’administration Obama, parmi lesquels le vice-président, Joe Biden.
La presse considérait, là, un test difficile de la force et de la crédibilité du nouveau président, Barack Obama. Dans la pratique du gouvernement, quelques-uns doutaient qu’il fût un homme à deux femmes (expression américaine qui signifie la virilité). Mais, Obama n’a pas hésité à renvoyer le Général qui avait coutume d’exprimer, à voix haute, ce que les autres chefs militaires mijotaient, in petto. Pourtant, l’officier avait occupé les postes les plus sensibles au sein de la hiérarchie militaire. Il dirigea les opérations spéciales, en soutien à la liquidation d’Abu Musab Al-Zarqawi. D’ailleurs, Robert Gates lui attribuera le qualificatif de « meilleur guerrier et commandant de terrain » qu’il ait connu, de toute sa vie….
Oui, le Général Stanley McChrystal a été licencié, malgré ses excuses à Joe Biden. Après sa radiation de l’armée, il bénéficiera d’un recrutement, au sein de la prestigieuse université de Yale. Ironie du sort, il y dispense un cours sur la philosophie du « leadership »….
Hanevy Dahah