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Laveur d’autos aux feux de stop : 90 secondes pour survivre… 90 secondes pour rêver

Il s’appelle Saïdou. A le voir, rien ne le distingue des autres de son âge. Sinon, qu’à y voir de plus près, muni d’une raclette et d’une bouteille de détergent, il s’empresse d’aller à la rencontre des automobilistes aux feux de stop et se met aussitôt à laver le pare-brise, sans demander d’autorisation, ni dire bonjour. Il y va tout de go. C’est comme cela dans les grandes villes.

« Il arrive souvent que j’essuie la vitre sans contrepartie. Parfois, dans le pire des cas, des insultes me sont adressées, accompagnées dans de rares cas de gestes de colère. On me repousse, comme pour m’éloigner d’une voiture qu’il m’est interdit de toucher. C’est la règle, ça passe ou ça casse. C’est un travail dur ».

Par ces propos imprégnés de sagesse prématurée et d’innocence, le petit Saïdou évoque sa vie d’un enfant que la misère et la vie dure ont contraint à lutter pour survivre, dans une ville qui ne fait pas de pardon. « Tu travailles ou tu meurs de faim », dit-il, le regard perçant de ceux qui en savent un petit bout ». 

Il n’aborde les automobilistes qu’au seul endroit où ils n’ont pas le choix de partir en trombe ou de l’éviter. S’ils ne veulent pas de ses services, ils ne sont pas obligés de payer, ça, il le sait. Cet endroit, ce sont les feux de stop. 

La technique, c’est d’attendre le feu rouge. 

Le rouge, sur l’asphalte, c’est le moment de faire son boulot, se dit Saïdou, et bien, avec sérieux et rapidité, car il a tout juste une minute et demi, soit quatre-vingt secondes en tout, pour gagner sa vie, pour survivre ou, dans bien des cas, malheureusement, il est vertement rabroué par certains conducteurs, qui le repoussent sans aménité avec véhémence. Alors, le cas échéant, il se met à rêver, à rêver de jours meilleurs et il y en a, Dieu merci, dit-il, en tâtant sa poche et en bombant le torse. Des fois, il reçoit deux cents, si ce n’est des paroles désobligeantes, des outrages. 

Des coups, c’est plutôt rare, mais il se souvient qu’un de ses collègues a été agressé par un automobiliste particulièrement violent, regrette-t-il, en faisant un large geste de la main, comme pour dire qu’il en est ainsi. Ce sont les risques du métier. 

Le feu vert, c’est le retour à la bordure de la chaussée, pendant deux minutes, aussi, dans l’attente, à nouveau, du rouge. 

Ces deux couleurs, le rouge et le vert, ponctuent le quotidien du petit Saïdou, qui apprend à maîtriser ses gestes quand il essuie les vitres, les asperge de détergent, les ré-essuie encore et, surtout, quand le vert reprend le dessus. Il en va de sa sécurité. 

Il sait que les automobilistes ont leurs soucis, qu’ils font leurs devoirs. Lui, aussi, il fait son devoir. En une journée, il gagne six ou neuf cents. Aux jours de chance, il lui arrive d’en engranger jusqu’à mille cinq cents. Une aubaine, murmure-t-il, dans un sourire.

Il n’aime pas parler de sa famille et de ses activités quotidiennes. Mais, il n’a pas le choix, ou il travaille, ou il devient un mendiant, c’est-à-dire un enfant de la rue. Ça, il n’en est pas question. Laveur de voiture aux feux de stop, c’est, de loin, le meilleur choix, martèle-t-il avec fierté.  

A la tombée de la nuit, après une rude journée de travail, il s’accroche à un vieux bus brinquebalant, en direction d’El Mina pour passer une nuit bien méritée chez lui, et se reposer, avant de reprendre la lutte, tôt le lendemain matin. Comme les grands.

Ça, il le sait. Il sait qu’il travaille comme un grand, dit-il en regardant de biais, comme pour signifier que telle est la leçon de vie qu’il retrace à petits coups sur son chemin. 

D’après un reportage de Med Bechire 

Traduction de Med Yahya Abdel Wedoud

Taqadomy

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